Une photo, une histoire #1 : Chinguetti, Mauritanie
Vous avez choisi cette photo prise lors de mon voyage en Mauritanie dans l’Adrar en novembre 2006. Le voyage avait commencé par la visite de la ville de Chinguetti, surnommée la « ville des bibliothèques » ou la « Sorbonne du désert ». En effet, la ville conserve des milliers de manuscrits et de livres précieux rapportés dans la ville sainte par les caravanes des marchands du monde entier et dont certains datent même du 9e siècle, répartis dans une dizaine de bibliothèques à travers la vieille ville. Ces livres traitent essentiellement de religion et du Coran, mais aussi de littérature et de sciences.
J’avais choisi cette destination pour justement visiter une de ces fameuses bibliothèques du désert dont on parlait beaucoup à l’époque. J’étudiais à ce moment-là la Gestion de Bibliothèques et j’étais fortement intéressée par les questions de conservation des manuscrits précieux. Chinguetti, ville construite en plein désert et victime de l’ensablement, fait face à de nombreux problèmes pour la conservation et la préservation de ce patrimoine inestimable. La chaleur, la différence des températures, le sable et les mites rongent et abîment les livres, stockés pour certains dans des coffres en bois, sur des étagères branlantes ou, pour les plus chanceux, dans des armoires métalliques. La numérisation semble assez compliquée dans cette région tant pour des raisons financières que pour des questions pratiques. Je me souviens qu’à l’époque un projet de préservation et de formation avait été lancé.
Chinguetti, ville classée au Patrimoine mondial de l’Unesco, a été fondée aux 11e et 12e siècle pour répondre aux besoins des caravanes traversant le Sahara. Elle a connu son apogée commerciale, culturelle et religieuse dès le 16e siècle. Elle est également la 7e ville sainte de l’Islam, point de rassemblement pour les pèlerins qui se rendent à la Mecque. Elle a d’ailleurs abrité une université islamique. La ville ancienne avec ses maisons à patio et son dédale de ruelles qui convergent toutes vers la mosquée à minaret carré est jolie, bien que, petit à petit, le sable commence à tout recouvrir. L’homme est impuissant et se contente de reconstruire un peu plus loin, laissant le village tomber en ruines.
La photo a été prise dans le patio de la Bibliothèque Fondation Ahmed Mahmoud où Seif nous a présenté quelques-uns des livres conservés chez lui. Il nous a expliqué son travail de conservation des livres et le paradoxe que cela entraîne ainsi que l’histoire culturelle et livresque de sa famille et de la ville. La famille de Seif était une famille d’érudits, de juges musulmans, ce qui explique les nombreux ouvrages juridiques, de droit musulman et du code pénal. Les livres sont magnifiquement enluminés, recouverts d’inscriptions à l’encre rouge ou verte. Je suis toujours émue de voir un livre ancien. Je pense aux siècles qu’il a traversés, aux mains qui l’ont pris, aux yeux qui l’ont parcouru. Mon esprit s’évade dans les méandres du temps.
J’aime cette photo. C’est l’une des plus belles que j’ai faite jusqu’à présent. Et pourtant, je l’ai prise avec un appareil photo numérique compact Panasonic.
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Ta conclusion Laurence illustre à merveille le fait qu’une photo, c’est avant tout un cadre et un regard. Évidemment, il y a certaines photos que l’on ne pourra pas faire avec un compact, mais le photographe compte bien davantage que l’appareil. Une bien jolie photo en effet.
Une région disparue des cartes touristiques malheureusement la Mauritanie, tout comme la plus grande partie du Sahara 🙁
Laurent Articles récents…Bundi, le Rajasthan loin du tourisme de masse
Merci Laurent ! Je crois aussi que c’est le regard. Et, en ce qui me concerne, mes photos sont toujours plus réussies quand je ne réfléchis pas.
Oui la Mauritanie a disparu des cartes touristiques, c’est dommage d’ailleurs. J’ai adoré mes deux voyages dans le Sahara. Ce sont de beaux souvenirs. C’était une autre époque. Quoique j’aimerais bien y retourner en Mauritanie, découvrir Nouakchott et la côte.