« Eternels absents », extrait de Chronique d’un départ
Départ dans 76 jours
Éternels absents
Un proverbe populaire russe dit : « L’herbe n’est pas plus verte ailleurs ! » Peut-être, mais allons tout de même vérifier. Nous avons hâte de bouger, de nous animer. De lectures en discussions, de songeries en projections, nous ne cessons d’imaginer, de nous réjouir. Je nous considère comme heureux. Par moments, une sorte de fébrilité s’empare de nous et maquille nos instants en une irréalité confuse. Nous sommes ici, mais déjà plus là. Nos corps s’acquittent des tâches restantes pendant que nos esprits vadrouillent déjà sur des routes lointaines.
Nous vibrons à l’unisson sur ce projet. C’est bon d’éprouver cette énergie commune qui sert nos aspirations. C’est enthousiasmant de sentir l’autre mû par le même besoin intrinsèque de changement, par la même puissante attirance pour le mouvement, par le même besoin : devenir d’Éternels Absents.
Je trouve l’immobilisme ennuyeux et un peu effrayant. Sans doute ressemble-t-il un peu trop à la mort ? J’ai l’impression qu’elle et moi souhaitons les mêmes chemins de traverse, les mêmes bivouacs de bord de mer, des étendues vertes semblables où nous balader. À la pensée de ces nouveaux horizons, l’excitation croît davantage chaque heure.
Parfois, nous désacralisons la perception romanesque de ce voyage au long cours en imaginant les infortunes probables, les moments de solitude, de doute voire les déceptions. Nous nous préparons à ça aussi, car toute aventure comporte son lot de difficultés et de problèmes à résoudre.
Habiter dans la maison devient inconfortable et pas uniquement à cause du désordre engendré par les nettoyages et vidages. Nous ne souhaitons plus être ici, enfermés entre ces quatre murs, et la météo pluvieuse n’aide pas à relativiser le sentiment pénible d’être devenus des étrangers dans notre propre domicile.