L’Homme nomade vu par Jacques Attali
J’ai enfin terminé L’Homme nomade de Jacques Attali. Une vraie lecture nomade puisque je l’avais commencée dans l’avion qui m’amenait à Lloret de Mar et je le termine, ici, à Sarajevo. Un essai dense, et parfois indigeste, qui retrace, sous l’angle du nomadisme, l’histoire de l’humanité, bien avant les origines à l’utopie démocratique des « transhumains ».
Depuis plusieurs années maintenant, je m’intéresse à la question du nomadisme pour essayer de le définir, de comprendre d’où nous venons mais aussi, un peu plus égoïstement, comprendre ce besoin de mouvement qui m’habite. Au travers des récits d’Ella Maillart, d’Annemarie Schwarzenbach ou de Bruce Chatwin, j’ai cherché à les rencontrer ces nomades d’un autre temps. Cette fois-ci, j’ai voulu aborder le nomadisme de manière plus académique. Avant de vous en parler davantage, je préfère de loin la manière dont les voyageurs abordent cette question. Et même si ce ne sont que des récits, et même si le nomadisme n’est pas le sujet central de leurs récits, je trouve les propos beaucoup plus profonds, inspirants et instructifs que l’essai d’Attali. Peut-être aussi parce que j’ai pris plus de plaisir à les lire.
Dans cet essai, Attali explique que l’être humain est issu de la marche, de l’itinérance, du nomadisme. Nous sommes issus du mouvement des peuples et civilisations, de guerres pour des territoires, d’empires qui se font et se défont. La civilisation est née des inventions des nomades et de leurs découvertes liées à leurs besoins et à leur créativité pour y répondre à l’inverse des peuples sédentaires qui n’ont été à l’origine que des forteresses, des Etats et de l’impôt. Ces chapitres sont longs et assez rébarbatifs en raison de l’énumération des noms de tribus et de peuples si nombreux. On se perd un peu dans le propos. Parce que, au final, ce qu’il faut comprendre, c’est que nous sommes tous issus d’un mélange de peuples parmi lesquels les plus forts ont imposé leurs lois et, souvent, leurs coutumes avant d’être renversés par d’autres, plus forts ou mieux organisés. Que cela se soit fait dans le respect ou dans la barbarie. Le monde est en mouvement perpétuel et les empires d’hier ne seront pas ceux de demain.
Il nous explique également la peur des nomades chez les sédentaires. La peur de ceux qui vont sur les routes, sans travail ni argent. Les Etats ont donc mis en place des moyens pour contrôler les nomades et les empêcher d’exister au sein de leurs frontières. Le nomade était chapardeur, porteur de maladies, incontrôlable et source d’insécurité. Il fallait l’enfermer ou le bannir. Des hôpitaux ont donc été mis en place pour les prendre en charge, le travail rendu obligatoire ainsi que les papiers d’identité et le livret du nomade et ceux qui ne respectent pas les règles et restent vagabonds envoyés aux galères à vie. Avec le temps, on est venu à comprendre que ce n’était pas tant le nomade qui était un danger mais la pauvreté. Car de nombreux vagabonds l’étaient en raison d’une grande pauvreté. Les Etats se sont donc mis à lutter contre la pauvreté sans pour autant arriver à l’éradiquer. Le but étant de sédentariser et de contrôler le plus possible les mouvements des gens et des marchandises (en privilégiant davantage la circulation des marchandises). Toutefois, la disparition des peuples nomades entraîne des désastres écologiques et une perte de repères. Les derniers peuples nomades sont les gardiens de la planète.
L’humanité a été marquée par trois phénomènes de mondialisation. Toutefois, avec la mondialisation, c’est la précarité qui augmente. Provoquant par là au sein de la population un repli sur soi lié à la peur de l’étranger et de tout ce qui vient d’ailleurs. Nous en sommes à la troisième mondialisation dans laquelle on constate trois types de population : les infranomades (les nomades pauvres qui le sont par obligation et non par choix libre), les sédentaires (qui se précarisent et tendent à devenir des infranomades ou qui se transforment en hypernomades pendant leurs vacances) et les hypernomades (créateurs, cadres supérieurs et nomades ludiques). Toutefois, la précarité augmente, les migrations sont importantes, les frontières se ferment ou la xénophobie se répand… On constate la montée des nationalismes et des fanatismes. Le constat d’Attali est effarant et juste malgré tout. Précarité, instabilité, endormissement des masses, leurre démocratique, société sous surveillance, désastre écologique… L’Empire américain, comme l’Empire romain à l’époque, est pris d’assaut et fragilisé par trois empires nomades : l’empire du Marché (qui a effectivement pris le pouvoir quand on voit ce qui se passe un peu partout dans le monde), l’empire de la Foi (montée en puissance des fanatismes) et l’empire de la Démocratie (l’utopie ultime de l’égalité entre les gens, de non-appartenance à un pays, de l’intégration de ce qu’il y a de mieux de la sédentarité et du nomadisme).
Le texte gagnerait beaucoup à être un peu plus condensé. J’avoue qu’à de nombreuses reprises je me mettais en lecture automatique en rêvassant aux épopées de Gengis Khan, en parcourant la Route des épices avec les marchands arabes ou encore en m’indignant sur la bureaucratie française. On y apprend cependant beaucoup de choses très intéressantes. Des faits que j’ignorais et qui permettent d’avoir une vision plus globale et un peu plus précise sur notre actualité. Car cet essai qui a été écrit en 2003 prédisait en partie ce qui allait se passer aujourd’hui tant au niveau économique, social que politique. Sauf que, les choses ont pris un tournant auquel on ne pouvait pas s’attendre. Un monde « transhumain » reste une utopie. Certes possible mais pas avant un grand chaos. Le monde est mouvement !
Je ne conseillerais cette lecture qu’à toute personne intéressée par la question du nomadisme d’un point de vue historique et politique également. Rentre-t-on dans la vie des nomades et dans leur manière d’appréhender le monde ? Non. Il s’agit ici d’avoir une vision extérieure, une réflexion intellectuelle sur le passé afin d’envisager l’avenir.
Je pourrais vous parler d’encore bien d’autres aspects abordés dans cet essai et ouvrir la réflexion sur ce qu’est aujourd’hui le nomadisme ? Qu’est-ce qu’être nomade ? D’où vient la frénésie actuelle des jeunes (et des moins jeunes) à bouger et explorer le monde en sac à dos ? Est-ce encore être nomade ? S’agit-il d’une nouvelle forme de nomadisme ? Nous voyons de plus en plus de travailleurs nomades que ce soit par choix libre tels que les nomades digitaux ou par contraintes économiques comme, par exemple, tous ces ouvriers bangladais au Qatar ou ces routiers qui partent plusieurs mois sur les route. Grâce aux nouvelles technologies, un autre mode de vie est désormais possible. On accède à un nomadisme virtuel mais aussi à une sédentarité en mouvement. Seuls quelques privilégiés peuvent se le permettre. Toute l’humanité pourrait-elle accéder à cette qualité de vie ? Les inégalités restent et s’étendent davantage. D’un autre côté, les entreprises ont tout à gagner de la mobilité de leurs travailleurs afin d’assurer une meilleure qualité de vie à chacun. Une utopie encore peut-être ?
Si vous voulez avoir un autre avis sur ce livre, je vous invite à lire la critique d’Anick-Marie de Globestoppeuse.
L’Homme nomade, Jacques Attali, Le Livre de Poche, 2005
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Merci… C’est intéressant mais il faut vraiment avoir envie de le lire.