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Regards croisés.

Errance sur le 45e parallèle de l’Ardèche à l’Atlantique

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Partir en plein confinement, au mois de mars, et suivre le 45e parallèle Nord des montagnes de l’Ardèche à l’océan Atlantique, telle est l’idée de Stéphane Chovet. Un cheminement en solitaire (ou presque) sur ces chemins peu empruntés, des étapes dans des villages oubliés ou touristiques, dans des abbayes ou à la belle étoile, dans des forêts pittoresques ou sur de vastes plateaux. L’auteur raconte la France des campagnes, son industrialisation et sa perte de lien avec le vivant, mais aussi ses racines préservées contribuant à l’espérance et au réenchantement. Un texte particulier puisque le marcheur est accompagné de trois compagnons qui enrichissent la réflexion et élargissent la conscience.

Regards Croisés est un éloge au sauvage, un récit d’expériences vécues qui glisse vers le conte quand les témoignages ne suffisent plus. C’est aussi un cri d’alarme pour regarder autrement notre environnement et en prendre soin immédiatement.

Trois questions à Stéphane Chovet

Stéphane_Chovet_Regards_Croisés1/ Stéphane, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Avec l’âge, j’oserai un mot pour me définir : métamorphose. Plus jeune, j’ai visé de nombreux sommets. Une fois atteints ou imaginant l’avoir fait, la vie m’a instruit la descente et les creux. J’aime bien l’histoire de Sisyphe… Aujourd’hui, si je continue à vouloir monter des pierres, j’oublie moins ce que cela demande et produit, la beauté du geste, la conscience d’œuvrer, le détachement, le partage.

2/ Pourquoi avoir décidé d’entreprendre ce voyage sur le 45e parallèle nord ? Cette idée germait-elle depuis longtemps dans votre esprit ?

Cette ligne a toujours été un marqueur spécifique me concernant. J’y ai vécu physiquement mes années de jeunesse de 2 à 22 ans. Son versant sud y gouverne mon cœur, mes attaches viscérales, son nord ma raison, mes pensées structurées. Faire ce voyage c’était à la fois valider et revendiquer ce statut d’entre-deux me concernant. C’était aussi partager ma perception de cette ligne : elle est celle où les contraires peuvent se rencontrer et cohabiter, une référence capitale dans un monde où les clivages vont crescendos. Dernièrement, le journal Le Monde cartographiait pour l’ensemble de la France l’état des nappes phréatiques pour plus de 70 polluants, y compris ceux dont on commence juste à parler comme les PFAS. Je n’étais pas surpris de constater que la ligne du 45° était encore particulièrement préservée sauf la portion où dans le livre j’évoque la perte du courant sauvage et la lamentation de la Terre. 

3/ Aviez-vous déjà effectué de longues randonnées avant d’entreprendre celle-ci ?

Auparavant, je n’avais jamais dépassé les six jours de marche. C’était une première. Je suis donc un bon monsieur « tout le monde ». Si je suis un sportif, je n’ai pas fait d’entrainement particulier auparavant. Je savais que mon rapport à la santé, au confort et à la sécurité seraient questionnés. Mais aussi mon autonomie de penser, mes facultés de perceptions, mes capacités à rentrer en symbiose.

Extraits

Lundi 8 mars 2021
1ère lame : le Bateleur, un nouveau départ porté par la confiance.
Un moral d’acier ! Du Tanargue à Notre-Dame des Neiges.

Sur le pied de guerre dès six heures du matin, tous les doutes sont balayés. Le ciel est dégagé, il ne fait qu’un degré à Laboule, donc quatre à six degrés en-dessous de zéro sur les sommets, avec une météo orientée au beau temps. Le sac est prêt, ficelé. Bien lourd, rempli à l’extrême, il va falloir en tenir compte et être attentif sur les appuis. Si la destination finale est scellée à la latitude 45, la destination du jour est encore incertaine. Deux axes sont possibles, un qui oriente plus au sud et l’autre plus au nord. La rivière Borne impose ce choix, tant ses falaises vertigineuses et profondes barrent le passage par l’ouest, ne laissant l’accès libre qu’aux rapaces. Cette rivière, c’est aussi la rencontre de trois terroirs, trois climats : le méditerranéen, l’océanique et le continental.

Je pars enfin.

(…)

Lundi 15 mars 2021
8e lame : la Justice, pour assumer ses actes, se voir réellement.
Des seaux d’eau glacée sur les têtes pour arriver plus clairs à Conques. Athéna et Sainte-Foy. D’Estaing à Conques.

Levé à l’aube, j’ai des fourmis dans les pieds. L’ardeur de la Gascogne, le tableau vivant du village d’Estaing, la promesse de Conques, tout ceci m’électrise. Je prends quand même le temps d’engloutir un déjeuner gargantuesque, de ceux qui font la réputation des enseignes des chemins de Saint-Jacques.
Ce serait bien de revenir à Entraygues pour démarrer du point d’arrivée de la veille. Estaing n’était qu’une parenthèse, un précieux interstice, une porte d’entrée vers un autre monde. Un monde où l’humain plus présent s’émancipe.
C’est un employé d’opérateur de réseaux qui me prend en stop dans sa camionnette. Il est pourtant très pressé. Sans trop de précautions, il jette le sac à dos dans le coffre où gisent déjà ses rouleaux de câbles et ses boîtiers électroniques. La fibre et la 5G n’attendent pas. Il me dépose au niveau du pont qui donne accès au hameau de Golhinac.
En traversant le Lot, à peine ai-je fait quelques pas que la pluie se met à tomber généreusement.

(…)

Sous un déluge, la conscience retournée, en dépassant les portes de Conques, je ne marche plus, je flotte. L’air s’est transformé en liquide amniotique et m’entraîne dans un ventre maternel. Porté par ce courant invisible, je fais une première halte à l’arrière de la basilique. C’est la porte des morts. Des sarcophages en pierre disposés en cercle autour du cœur du monument sont leur interface. Ils sont là pour sonder les arrivants.
Les giboulées et le boyau en pente ont dû faire leur effet car le flot d’énergie reprend son cours et me dépose devant la basilique. Là, observé par la frise des petits curieux, je tente de décrypter le livre de pierre de la porte centrale. Un son m’invite à entrer. Un orgue monte en puissance au moment de franchir le seuil monumental. Avec l’instrumentiste, nous sommes les seuls présents. Je reconnais un air des Variations Goldberg de Bach, une harmonie unique entre toutes.
Être au juste endroit au juste moment avec une juste attitude, c’est remplir d’éternité le présent. Même le loup a les yeux embués de larmes, touché par la grâce, ou l’ineffable.

(…)

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