En ces temps de confinement #3
Lorsque j’avais cet article en tête, je voulais le commencer par cette simple phrase : « Je suis en colère ». Oui, je suis en colère. Je me couche en colère. Je me réveille avec cette colère. Non pas cette colère qui peut nous inciter à nous dépasser, à nous affirmer. Une colère de désespoir, d’impuissance, de désillusion.
Et puis, j’avais aussi envie de commencer en disant que j’avais peur. Peur que ce confinement prenne fin. Peur que tout recommence comme avant mais en pire… Peur du tourbillon, de la frénésie, de la cupidité, de la bêtise, des contrôles, de devoir à nouveau rentrer dans l’arène et me battre pour avoir un peu de place. Parce que j’aime ce confinement. J’aime ce rythme, cette pause salutaire qui me permet d’être moi, de retrouver le calme.
Et puis, je me dis que je ne peux pas penser comme ça. Que je dois penser à toutes ces personnes qui souffrent du confinement. Non pas parce qu’elles ne peuvent pas bouger ou consommer comme elles l’entendraient mais parce qu’elles sont loin d’un proche ou d’un ami qui est malade, parce qu’elles sont enfermées avec leur mari ou leur(s) parent(s) violent(s) et qu’elles n’ont plus d’échappatoires, parce qu’elles sont isolées et sans ressources… Les raisons sont multiples. Je me dis que je ne peux pas penser comme ça parce que je suis privilégiée, parce que je suis passive, parce que je ne travaille pas jour et nuit pour sauver des vies, parce que je ne travaille pas pour le bien de la communauté en risquant d’attraper ce virus. Et donc, en plus de cette colère et de cette peur, un sentiment de culpabilité s’empare de moi.
J’ai peur de la suite. Parce que le déconfinement aura lieu bientôt alors que le virus ne sera pas parti lui. Parce que les gens vont peut-être oublier les mesures de distanciation. Ce n’est pas le virus qui me fait peur. Mais les gens, nos dirigeants, les attentes, les entreprises, le marché, les banques… L’économie doit reprendre. L’économie !? Et la vie ? L’essentiel ? Le réel ?
Je pensais que ce confinement nous apprendrait quelque chose. Je pensais qu’on en tirerait les leçons. Je pensais que ce moment changerait réellement la vision des gens. Que l’on aurait envie de construire un autre monde plus sensé, plus tourné vers des solutions d’avenir pour un bien-vivre ensemble. Mais je me suis trompée… Peut-être que certaines consciences ont été éveillées. Mais pas celles de ceux qui ont les cartes en mains. Et ce changement n’arrivera pas comme ça. Il faut qu’un événement plus grave encore ait lieu. Ce n’est pas fini. C’est maintenant que tout doit commencer. C’est maintenant qu’il ne faut pas se laisser faire. Se réjouir que les commerces rouvrent pour pouvoir relancer l’économie ? Et continuer à faire venir des objets tous plus inutiles les uns que les autres aux durées de vie très limitées en plastique et autres matériaux ultra polluants depuis l’autre bout de la planète ? C’est ça que nous voulons ? Faire la file pour retourner dans des chaines de fast-food dont les aliments transformés sont pleins de produits nocifs pour la santé ? Est-ce ça que nous voulons ? Aller en vacances dans un hôtel all in en avion d’une compagnie low cost pour bronzer sur la plage, aller se baigner avec un centimètre de crème solaire sur la peau et assister le soir à des spectacles bruyants ? Est-ce vraiment cela que nous voulons offrir comme exemple à nos enfants ? Je juge. Je ne devrais pas juger. Pourtant, je ne peux m’en empêcher. Covid-19 n’est rien à côté de ce qui nous attend dans les années à venir aux niveaux climatique, alimentaire, sanitaire et autres… Covid-19 est simplement une mise en garde, une chance à saisir, un moment pour réfléchir à ce qui a réellement de l’importance. Alors, quand je lis les articles des différents journaux, les articles relayés par des penseurs éclairés, je suis en colère et j’ai peur. J’espère me tromper. Mais les signes ne sont pas bons.
Ensuite, plus individuellement, j’aime ce confinement parce que je n’ai plus d’obligations sociales. Et c’est un soulagement pour moi. Tout est plus calme. Je peux observer les oiseaux, les plantes, les feuilles. J’observe et je vois tous les changements chaque jour. Les bourgeons, les premières feuilles, les fleurs qui éclosent… L’activité a repris et, à nouveau, les bruits de la route se font entendre. Le calme a un peu disparu déjà…
Le déconfinement approche… Les absents se feront sentir. On pourra leur rendre les derniers hommages. Les commerces vont bientôt rouvrir leurs portes, les activités vont reprendre, les familles et amis vont pouvoir progressivement à nouveau se réunir…
Je n’en ai pas besoin. Je n’ai pas besoin de retrouver une vie sociale. Je n’ai pas besoin d’acheter. Je n’ai pas besoin d’aller au restaurant, au cinéma, au musée ou de boire un verre en terrasse. Je n’ai pas besoin de retrouver une activité économique, professionnelle, interactive. J’ai besoin de temps. J’ai besoin de calme. J’ai besoin de simplicité. J’ai besoin d’apaisement. J’ai besoin de garder ce contact avec le vivant, le temps, les éléments. J’ai besoin de garder cette échelle qui me convient. Mais j’ai peur. Peur que je ne le puisse pas. Peur aussi de décevoir, de ne pas être à la hauteur, de ne pas répondre aux attentes. Et je suis en colère. Et je suis déçue.
Alors, pendant que tout le monde reprendra une activité frénétique, j’enfilerai mes chaussures de marche et mettrai mon sac sur le dos. J’irai à travers champs. Je pénétrerai les forêts. Je longerai les rivières. Je m’éloignerai de ce monde. Pour retrouver un peu de calme, de solitude et de quiétude. Loin de toute agitation. Loin du bruit. Loin de la bêtise. Prendre de la distance. S’isoler. Apaiser sa colère. Retrouver l’espoir. Croire à nouveau qu’un autre modèle est possible. Ne pas participer. Ne pas cautionner. Je devrais agir, m’investir, être solidaire. Ce n’est pas pour moi. Mon action, c’est la non-action, le retrait, le silence. Ce confinement était une chance pour proposer un monde soutenable où le bien-vivre ensemble aurait été la règle. Ce confinement était une chance pour se reconnecter avec le vivant, tout le vivant. J’espère que nous garderons un peu de ça en nous. J’espère que nous saurons remettre du vivant, de l’essentiel, de l’entraide, de la tolérance entre nous.
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Coucou Laurence,
Malgré ta colère et ta tristesse, je garde espoir.
Oui, on entend les voitures qui circulent à nouveau. Les moteurs sont bruyants mais on n’entend pas toutes ces personnes au calme qui ne participent pas à ce bruit. Un million de personnes silencieuses ne couvrira pas le bruit d’une seule voiture.
Les médias veulent du sensationnel pour vendre. Ils ne parleront pas des changements de mentalité, des prises de conscience car ces changements ne se voient pas, ils ne se mesurent pas.
Pourtant il suffit d’un petit pourcentage de la société qui dit « non ». Il suffit d’une nouvelle génération, témoins d’une société qu’ils ne voudront plus. Le changement ne se voit aujourd’hui car il mûrit. Un arbre, on ne le voit pas pousser en deux mois mais le changement s’opère. La graine est invisible puis un jour elle apparait et est bien ancrée.
Nos pensées engendrent nos paroles, nos paroles engendrent nos gestes, nos gestes engendrent nos habitudes, nos habitudes engendrent nos valeurs et nos valeurs engendrent notre destin.
Une pensée positive, c’est un destin plein d’espoir.
Porte-toi bien,
Marie
Salut Marie,
Merci pour ton message. Je suis globalement d’une pensée positive. Et je suis bien d’accord avec toi car effectivement les médias ne préfèrent pas parler de ces changements. Mais à mon sens, le changement doit être maintenant. Pas pour la prochaine génération. C’est maintenant que nous devons refuser que tout reparte comme avant. Mais, sommes-nous assez nombreux pour en prendre conscience ? Et puis, même si on essayait de repartir comme avant, rien ne sera plus comme avant. Nous serons donc dans une situation paradoxale… Est-ce que ce nous nous ferons sera suffisant pour faire pencher la balance ? Est-ce que, par exemple, malgré les milliards qui seront investis pour relancer l’aviation les gens refuseront de prendre l’avion ? Est-ce que les gens se rendront compte qu’ils n’ont pas besoin de tout ce qui va arriver sur le marché pour relancer une économie moribonde ? Et puis, quelle est ton analyse par rapport à cette crise économique qui arrive ? Selon toi, qu’est-ce qui pourrait arriver ? Et y a-t-il une manière d’éviter en décidant de changer de vision ?
Nous, tout comme vous, agissons au quotidien. Ou plutôt, pour notre part, essayons. Mais ce n’est qu’une goutte d’eau. Mes valeurs sont bien présentes mais elles ne correspondent pas à cette société. J’essaye de m’y dépatouiller depuis longtemps avec souvent l’impression d’être à côté de la plaque. Alors ma vie ressemble parfois à une sorte de chaos permanent.
Même si souvent j’ai l’espoir, même si je crois qu’un nouveau monde se dessine, même si je pense qu’il est possible de vivre une vie qui me semble juste, responsable et en harmonie, parfois je me dis que cela ne se fera pas sans heurts.
Enfin, là, je crois que j’ai surtout besoin d’aller me perdre sur les chemins, dans mes pensées, dans les rencontres fortuites. Me déconnecter des médias et de l’activité qui reprend. Là où je suis, elle est bien présente.
Porte-toi bien aussi,
Laurence
C’est vrai qu’on a tous des besoins différents. Avec le confinenement, presque toutes les familles sont désormais confinées chez elles et revoient leurs habitudes. Certaines se rendront compte qu’un voyage à l’étranger ne remplacera pas les rires d’enfants dans leur jardin ; un repas sain en famille ne vaut pas un restaurant à l’autre bout du monde. Mais tous ne réagiront pas de la même manière.
Comme diraient Mes Aïeux « Éteins don’ ta tivi, faut pas rester encabané » 🙂
Si le monde changeait radicalement demain, l’économie s’effondrerait et les familles sans revenu se verraient dans l’impossibilité de subvenir à leurs besoins primaires. L’univers n’a peut être pas envie de nous faire subir de telles conséquences et il a choisir de prendre son temps pour changer nos mentalités.
Aujourd’hui, les changements s’opèrent mais à une vitesse plus douce :
Les abattoirs de porcs aux Etats Unis ferment, il y a une demande croissante des fruits comme les avocats, les demandes de pétrole s’effondrent, certains financiers remettent en question notre capitalisme et se demandent quelle est encore la valeur de l’argent, les entreprises vont devoir revoir leur mode de production.
Notre planète, c’est aussi celle de 7 milliards d’individus, nous devons trouver notre place sur cette terre. On est tous différent et c’est ca qui nous rend unique 😉
Aaaah Mes Aïeux… C’est bien d’éteindre la tivi… J’essaye aussi d’éteindre les réseaux. Trop d’informations. Trop de tout. Et oui, le confinement a un effet positif sur de nombreuses familles. Des prises de conscience se font et dans le bon sens. Et c’est encourageant. Mais, ce sont des actions individuelles. Je sais bien que pleins d’actions individuelles peuvent changer les choses mais ce n’est pas suffisant. Enfin, cette semaine, ma vision est plus positive. J’ai pris un peu de recul par rapport aux médias et réseaux.
Ma question est de savoir si nous avons le temps ? Comme toi, je constate ces changements aussi et cela me rend heureuse, me donne de l’espoir, me fait penser profondément qu’un autre mode de fonctionnement est possible. Mais est-ce suffisant ?
Et puis, parfois, je doute que les choses se passent en douceur. C’est une réalité. Il peut y avoir une majorité de personnes dans la non-violence, dans la douceur, le partage, la solidarité, l’entraide, l’échange, l’écoute… Oui, c’est vrai. Mais il y a aussi toutes ces personnes en colère. Et il y a celles sans scrupules…
Que chacun puisse trouver sa place. Oui, il le faut. La différence est ce qui, à mon sens, permet d’être une société complète, permet justement de vivre ensemble. Mais le travail est encore long…