Que vient faire Robert Mitchum dans votre roman Jean Hatzfeld ?
Encore et toujours la Bosnie-Herzégovine à l’honneur avec, cette fois-ci, un roman d’un auteur français, Jean Hatzfeld, qui nous livre dans Robert Mitchum ne revient pas une histoire d’amour tragique avec en toile de fond le siège de Sarajevo.
L’histoire
Marija est serbe. Vahidin est musulman. Tous deux sont champions de tir de l’équipe yougoslave. Ils s’aiment. En cette année 1992, à Ilidza, Marija et Vahidin s’entraînent de longues heures en vue des Jeux Olympiques de Barcelone qui les attendent cet été-là et ne font pas attention aux tensions autour d’eux. Un matin, les amoureux seront brutalement séparés et dans l’impossibilité de pouvoir communiquer. Les Serbes encerclent Sarajevo, le plus long siège de l’Histoire moderne commence.
C’était le troisième être humain sur lequel il tirait, mais le premier de si près. Même à une distance qui empêchait d’entendre les gémissements ou de croiser un regard, il avait perçu les soubresauts des jambes sous les impacts de ses coups de feu. Il couvrit son visage de ses mains, mais aussitôt s’amusa de l’allure parodique de sa posture. Il n’éprouvait ni malaise, ni angoisse, ni même soulagement, il se sentait simplement tranquille. Son peu d’émoi ne l’interpella pas, il s’étonne plutôt d’avoir si vite maîtrisé le tir lointain, de ne pas s’être laissé surprendre par les flux d’air, puis il jubila d’avoir supprimé un salaud de sniper et de pouvoir le raconter à Safet lorsqu’il reviendrait dans la soirée.
Des tireurs d’élite
Jean Hatzfeld est grand journaliste et reporter de guerre qui a couvert de nombreux conflits dans le monde dont celui d’ex-Yougoslavie dont il a tiré un récit formidable L’air de la guerre. Bloqué à Sarajevo pendant le siège, Jean Hatzfeld a pu s’imprégner de l’atmosphère qui y régnait et observer le quotidien, les résistances, la vie. Avec Robert Mitchum ne revient pas, l’auteur explore comment deux civils, deux sportifs totalement dévoués à leur sport et hors réalité, se retrouvent du jour au lendemain dans deux camps opposés, embrigadés en raison de leur talent de tireurs sportifs, à tirer en milieu urbain sur des cibles humaines. Au travers de ces deux personnages, Hatzfeld évoque ces tireurs d’élite qui faisaient régner la peur et l’angoisse dans la ville. Il nous les fait voir autrement que comme des monstres. La guerre pousse à prendre des décisions que l’on peut regretter toute sa vie, parce qu’on a le sentiment que l’on n’a pas le choix, parce que les choix sont mauvais ou mauvais. Et puis, il faut les assumer. Vivre avec.
Une écriture efficace
Pas de grandes introspections dans ce roman. Pas de grands débats intérieurs. Juste des hommes et des femmes qui essayent de vivre dans ce conflit. Pas de grandes et longues descriptions non plus. Des actes, des événements, des moments de vie, des décisions. Hatzfeld réussit à donner les positions de chacun dans ce conflit, les Serbes, les assiégés, les casques bleus, les journalistes, les civils. Son écriture me semble efficace, sans fioritures et fluide. Le roman peut se lire d’une traite car, au fond, ce qu’on veut savoir c’est si ces amoureux-là se retrouveront. Je n’ai par contre pas réussi à m’attacher aux personnages, je n’ai pas réussi à vivre l’histoire, à ressentir leurs émotions.
Même si, dans la jeep du capitaine, elle ne crut pas un instant que tirer sur des gens lui serait supportable et donc que cette décision lui accorderait plus qu’un court sursis. Elle accepta ainsi de prendre position en haut de la tour pour tirer dans l’obscurité nocturne sur des voitures et des silhouettes anonymes, et fut surprise, dès les premières nuits, de constater que le soulagement de préserver ce qui pouvait l’être de son existence passée à Ilidza l’emportait sur tout le reste ; et que la curiosité d’une nouvelle expérience de tir dissipe si facilement sa répulsion à tirer sur des cibles vivantes à un carrefour ; sans doute parce que ce soulagement coïncida avec l’arrêt d’un cauchemar, hanté par une diva soprano, qui la pétrifiait de dégoût ou de honte dans son lit.
Un roman sur le siège de Sarajevo ?
Oui et non. Oui, parce que par bribes l’auteur nous parle du quotidien de cette ville, de la vie des habitants, de leurs actions. Il nous parle des snipers de la tristement célèbre Sniper Alley. Non, parce que tout ça est le fond sur lequel viennent se greffer les histoires individuelles de Vahidin et Marija : leur espoir de participer aux Jeux Olympiques, leur amour du tir, leurs incertitudes quant à l’autre. Les personnages ne cherchent pas à comprendre le conflit, ne cherchent pas à changer les choses. Ils acceptent et vivent comme si la vie était devenue une guerre. Finalement, c’est la guerre vécue de l’intérieur que nous propose Jean Hatzfeld.
Et Robert Mitchum ?
Qui est-il pour donner son nom au roman ? Ah, je ne dévoilerai pas ce mystère surprenant. Anecdotique et pourtant essentiel à l’histoire.
D’autres avis de lecteurs sur Babelio.
Robert Mitchum ne revient pas, Jean Hatzfeld, Gallimard, 2013
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Merci pour cet article. Je partage la sensation que la vraie force de Hatzfleld est la narration de ces tranches de guerre durant lesquels les instants de vie quotidienne restent ordinaires dans ces périodes pourtant si extraordinaires. Oui, au milieu des bombes, des tirs de snipers, les gens s’aiment, se marient, les femmes accouchent, les enfants jouent dans les ruines. Tout continue alors que le temps semble en suspend et Hatzfeld, dans son L’aIr de la guerre excelle dans l’écriture de ces « épisodes » de vie au milieu des tirs.
Tu m’en avais beaucoup parlé et en bien de L’air de la guerre. Ce sera une de mes prochaines lectures pour pouvoir aussi comparer l’approche journalistique à l’approche romancée.